19/01/2015

"Discours à la nation" (théâtre)

Discours à la nation
Jusqu'au 1er février • Paris
"Discours à la nation"
conception, texte et mise en scène Ascanio Celestini, 
conception et interprétation David Murgia.

Présentation : À l’aise dans ses bottes santiags, malice dans les yeux, il sourit. Regards vers les spectateurs, il accueille, saisit la proie. Le public est devenu une assemblée de « camarades ». Il parle vite, il fait son discours à la nation. L’acteur sort un revolver et déboulonne les absurdités du monde. Dans une parole libre, vive, il expose et développe ses théories, déboule dans les principes du marché globalisé, dans les aveuglements de l’ultralibéralisme. Il prend l’exemple de deux hommes, l’un possède un parapluie, l’autre non, depuis toujours. Comment vivent-ils ensemble ? Comment une société entière se bâtit et tient sur ces déséquilibres ? L’acteur dresse ensuite le portrait d’un voleur de grain qui finira par détenir le monopole du pain. On pense à Berlusconi. Ici, la nation est métaphorique, chaos de corruption et d’ordures.

Après Fabbrica ou La Pecora nera, l’auteur italien Ascanio Celestini lance une attaque anticapitaliste qu’il confie à David Murgia. Le guitariste Carmelo Prestigiacomo, sur une scène jonchée de caisses, accompagne l’acteur virtuose. Conférence, expérience sidérante, bombe ou performance, on assiste à une leçon de géo-sociopolitique depuis le point de vue des puissants, des dominateurs cyniques. À ces nantis aspirant au poste de dictateur, l’acteur propose d’organiser le retour du cannibalisme des minorités entre elles pour régler la question de la surpopulation et de l’immigration. Projet d’un visionnaire ? »

Entretien avec David Murgia,
tirée du dossier de presse du spectacle.

Savez-vous ce qui a suscité précisément une telle indignation, 
une telle colère de l’auteur du « discours » ?

Je ne peux pas savoir ce qui a précisément suscité une telle indignation ou colère de la part de l’auteur. Je ne peux même pas vous certifier qu’il s’agit précisément d’une indignation ou d’une colère. Si c’est une indignation, c’en est une forme particulière. Si c’est une colère, alors c’est une colère froide et contrôlée, puis transformée en histoires à raconter. Une sage résolution de penser (comme dirait Slavoj Zizek). Je pense que la principale source d’inspiration d’Ascanio Celestini, c’est la réalité. Le petit pays, cette nation métaphorique, il l’envisage avec transparence. Les puissants que j’interprète dans le spectacle, hommes politiques ou financiers, parlent comme parleraient nos propres dirigeants s’ils n’avaient pas besoin de cacher le despotisme sous le costume de scène de l’Etat démocratique. Ce qui est mis en représentation, c’est le langage du pouvoir.

Par les temps qui courent, est-ce un spectacle provocateur ? 
Un spectacle manifeste ? Salutaire, nécessaire, excitateur ?
Le spectacle investit une vision du monde. Celle de contradictions fortes entre classes, entre dominants et dominés, une vision du monde où se sont les patrons-puissants et les apprentis-tyrans qui auraient le mieux intégré les notions de lutte des classes, au service d’une nouvelle tyrannie. Ces histoires me semblent intéressantes en ce qu’elles permettent de poser autrement notre regard sur le monde, sous un éclairage différent, avec d’autres mots. Les mots sont l’outil fondamental de la construction de ce spectacle. Les mots qualifient le monde. Changer les mots, c’est changer notre rapport au monde.

Avez-vous déjà craint que des spectateurs vous prennent très au sérieux ? 
Est-ce arrivé ?
De manière générale, on ne craint pas la critique du spectateur. Quand bien même il aurait envie de nous prendre au sérieux... Nous sommes au théâtre. Toutefois c’est difficile d’imaginer que moi, l’acteur derrière le personnage, je suis tout à fait sérieux lorsque je fais la proposition de manger les chômeurs et les sans-papiers. Faire du boudin blanc avec des ouvriers d’Arcelor Mittal, c’est pas sérieux. Dans Discours à la nation, les points de vue se multiplient. La social-démocratie est observée par plusieurs fenêtres. La seule chose qui soit sérieuse ici, c’est ce que ces histoires nous évoquent. C’est le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui. La tyrannie que nous vivons/exerçons aujourd’hui, elle est tout à fait sérieuse. Et cynique.

À quel point cette colère, cynique, froide, intelligente, est-elle jouissive à jouer ?
D’abord, interpréter des puissants en envisageant l’idée de nation avec transparence, en soi, c’est ludique. Surtout lorsqu’on a la chance de s’appuyer sur une écriture intelligente telle que celle d’Ascanio Celestini. Les mots glissent et rebondissent, c’est un véritable plaisir de jouer avec eux chaque soir. Investir une interprétation du monde a toujours quelque chose de fondamentalement jouissif. La rendre publique, la confronter à d’autres visions du monde, par exemple celle selon laquelle il n’existerait aucune alternative au système capitaliste, permet une re-définition de la réalité ou, si l’on préfère, une transformation des cadres d’interprétation ayant cours dans notre société. Quand le théâtre parvient à « bousculer les cadres ordinaires de la vie », c’est jouissif. En fait, raconter une belle histoire, c’est jouissif. C’est un peu comme jouer d’un instrument de musique diatonique. Avec les partitions de Celestini, je pourrais jouer toute une vie. Je ne suis pas musicien, mais je sais que jouer de la musique c’est absolument jouissif.

Quelle leçon, vous, en tant que citoyen, avez-vous retiré de ce discours virulent ?
Nous sommes en guerre. Et cette guerre, c’est nous qui la menons. Contre les plus faibles. La lutte des classes existe. Je n’ai pas la conscience propre. Je refuse d’être indifférent. Plus personnellement, je tire des leçons d’une grande humanité de mon travail avec Ascanio Celestini. Les métiers d’auteur et de conteur ont quelque chose de noble. Pouvoir les observer et les apprendre aux côtés d’un homme comme lui est l’une des expériences les plus riches qu’il m’ait été donné de vivre.

"Discours à la nation" est paru en 2014 

> Télécharger le dossier de presse (pdf).
> Le site du Théatre du Rond-Point.

ACTU : Jeudi 22 janvier, à 22h30, salle Roland Topor, Théâtre du Rond Point.
À la rencontre des artistes du spectacle.



En février et mars, tournée en Belgique, puis retour en France fin mars 2015 (Noisy-le-Sec, Le Kremlin-Bicêtre, Vernouillet, Firminy, Andrézieux, Cabazat, Lyon, Dijon...).

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